Manips radio, de l’autre côté de la console

La comparaison entre soignant et héros a émergé il y a quelques années pendant la pandémie de Covid 19, en remerciement des professionnels de santé qui constituaient la « 1ère ligne ». L’attribut est flatteur mais il faut bien considérer que cela ne permet pas de se souvenir d’une notion essentielle : Les professionnels de santé sont des gens comme les autres, et de fait, ils peuvent potentiellement devenir des patients eux-mêmes. Des patients comme les autres ? C’est bien la question qui se pose.
En effet, pour un professionnel de santé, se retrouver en position de soigné, relève du changement de posture dans un univers où l’on se positionne habituellement comme celui qui sait et qui agit, contrairement au patient, qui par définition est l’objet de l’action et subit. Ce bouleversement à la fois professionnel et intime, suppose que le néo patient, admette cette situation inédite et au-delà même, sa propre vulnérabilité. Ce chamboulement peut potentiellement avoir lieu à deux reprises : lors de la découverte de sa maladie, puisque le soignant se pose en position de patient pour son propre diagnostic, puis lorsqu’il reprendra le travail et devra recouvrer sa posture professionnelle. Pour tenter d’en savoir plus sur ce sujet délicat, nous avons interrogé des manipulateurs en radiologie, qui à un moment donné de leur existence ont dû composer avec la maladie et leur quotidien de soignant. Nous en profitons pour les remercier tous très chaleureusement de leurs témoignages, riches, sincères et authentiques qui nous permettent aujourd’hui, de vous proposer cet article
Être patient, sur son lieu de travail, avantage ou situation mal-vécue ?
Une des premières interrogations que tout patient peut légitimement avoir dès que le soupçon de la maladie point, c’est d’identifier le meilleur endroit pour se faire diagnostiquer puis, éventuellement, traiter. Les patients non soignants, n’ont pas forcément le loisir de choisir l’endroit où ils vont effectuer le suivi de leur pathologie et leurs examens. Le plus souvent, Ils suivent les recommandations de leur médecin sans à priori personnel.
Dans le cas d’un professionnel de santé, qui plus est d’un manip radio, dont l’activité quotidienne tourne principalement autour du diagnostic, la question se pose différemment. En effet deux visions coexistent : une partie de ceux que nous avons interrogés, retient l’aspect pratique et les facilités d’organisation qu’offre le fait « d’être de la maison ». Florence manipulatrice au sein de l’hôpital public, est suivie pour une maladie de Crohn et une spondylarthrite ankylosante : « J’ai fait une petite poussés de Crohn, il y a 4 ou 5 ans, je sentais dans mon corps que quelque chose n’allait pas, […], j’ai demandé à une collègue de me mettre dans l’IRM, et l’examen était parlant. J’ai envoyé le résultat au médecin du CHU qui me suivait, j’ai pris un traitement tout de suite et j’ai gagné facilement 1 mois ou 6 semaines par rapport à un patient lambda qui n’aurait pas eu accès aussi facilement à une IRM, […] c’est un avantage énorme. » Une proportion non négligeable des personnes interrogées va dans ce sens et considère cette possibilité comme un réel avantage : Pour Delphine, patiente diabétique, double greffée rein-pancréas, « je ne cache rien à mes collègues, ça ne me dérange pas de faire mes examens sur mon lieu de travail […] ça a permis d’aller très vite pour faire tous les examens et d’avoir des dossiers complets rapidement. »
Pour autant, d’autres soignants préfèrent quant à eux séparer au maximum leur sphère privée et leur vie professionnelle. La pudeur de ces professionnels se trouve malmenée lorsqu’ils se retrouvent sur leur lieu de travail en position de patient, sans l’avoir décidé, pour quelque raison que ce soit, et qu’ils doivent afficher leur vulnérabilité face à leurs collègues. Pauline nous a confié que « si on n’a pas le choix, c’est assez frustrant ; […] on désorganise le planning, j’ai l’impression de gêner mes collègues, […] je préférerais être traitée normalement, prendre rdv, arriver à l’heure ». Pour Olivier, victime d’une chute de moto qui lui laisse des séquelles encore aujourd’hui «je l’ai plus ou moins bien vécu, être le patient connu que tout le monde vient voir, alors que je ne souhaitais pas vraiment […], ce côté où tout le monde défile dans le box, c’était un peu lourd ». En ce sens, ne serait-ce que pour cette raison, on peut dire que les manips ne sont pas tout à fait des patients comme les autres
Evoquons un instant le point de vue « d’en face ». L’ouvrage Le soignant malade évoque ainsi la difficulté de soigner un(e) collègue, pour les équipes en place « Le soignant éprouve ainsi des difficultés à voir ce patient soignant comme un patient « ordinaire » et c’est bien sûr d’autant plus le cas si le patient fait valoir qu’il est « du métier ». Cela peut générer une crainte de mal faire, mais aussi de subir des reproches en cas d’échec, de manquement ou d’insuffisance ». Une de nos témoins confirme « Le site où je fais mes TEP de contrôle, ce sont des amis, […], c’est particulier, mais c’est un choix de ma part […] ils m’ont beaucoup soutenu, le choix d’être soigné par mes amis, ça me rassurait, […] mais je sais que ça a été compliqué pour elles quand même »
Néanmoins certains des professionnels interrogés soulignent la sympathie qui peut s’installer « quand les manips et les radiologues apprennent que vous êtes manip, je n’ai pas eu à payer de dépassements d’honoraires et au niveau du dialogue, le vocabulaire utilisé est quand même plus médical » nous raconte Marlène déclarée RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) suite à sa spondylarthrite ankylosante. Il faut bien reconnaitre que les « avantages en nature » ne sont généralement pas nombreux lorsque l’on choisit la profession de soignant mais très clairement le gain de temps de diagnostic et les facilités d’accès aux examens en sont clairement un pour les manips radio
L’empathie, cette aptitude que la maladie décuple :
« Mon 1er TP avec ma classe, j’étais hospitalisée, donc je suis allée en salle de radio avec mon pied à perfusion, ça a marqué toute ma scolarité et mon début de carrière, dès le 1er jour, j’étais de l’autre côté de la barrière ». Aurélie, épileptique et manip radio depuis 20 ans, a expérimenté en tant que patiente, toutes les modalités que l’Imagerie médicale propose : scanner, IRM, radio, EEG. « Je sais que c’est difficile d’être malade, de gérer son stress dans une IRM par exemple […] ça m’a permis d’avoir beaucoup d’empathie pour les gens, de les comprendre, de comprendre éventuellement leur stress ou leur agressivité » A l’instar de la quasi-totalité des témoignages que nous avons recueillis, celui d’Aurélie évoque cette empathie renforcée que les professionnels ressentent après avoir eux-mêmes été confrontés à la maladie. Beaucoup ont l’impression de bénéficier d’une sorte de compétence supplémentaire, du fait de leur expérience personnelle. Dans ce cas, l’expérience de la maladie a induit une évolution de leur posture avec le patient, ces professionnels sont devenus plus à l’écoute des besoins et des ressentis des personnes en face d’eux : Marjorie s’en est rendu lorsqu’elle-même a été confronté aux examens et traitements agressifs qu’exigeaient la prise en charge de son cancer du sein : « je me suis dit que je n’avais pas dû être toujours très empathique, pour diverses raisons, par manque de temps […], on a un autre regard, ça c’est clair » Ce petit « supplément d’âme » permet au soignant concerné de ressentir plus clairement les besoins du patient, et on peut supposer qu’à terme, il soit plus à même que ses collègues de provoquer des changements dans le système actuel, et permettre une meilleure « prise en soin » du patient. Pauline, qui souffre de spondylarthrite ankylosante nous le confirme, « j’étais déjà quelqu’un d’empathique, je le suis encore plus » […] « Et notamment avec les patients qui ont la même maladie que moi ». Cet effet miroir n’est pas à négliger, notamment dans le cas de certaines maladies dites « invisibles ». Mettons-nous à la place de ces patients, dont une des difficultés principales est de faire comprendre à leurs interlocuteurs, leurs douleurs et leurs souffrances. Trouver face à soi, quelqu’un qui partage vos peines et vos ennuis médicaux, qui vous permet tout simplement d’être compris, est un atout primordial lors d’un processus de traitement ou de guérison.
Soulignons aussi que cette attention n’est pas unidirectionnelle, le regard porté sur les équipes soignantes, que le professionnel peut rencontrer quand il est lui-même en position de soin s’affine, très certainement. Comme le dit une de nos témoins : « on reste soignant même si on est patient, c’est vrai qu’on a tendance à être très attentif sur certaines choses, on voit tout de suite les dysfonctionnements, les manquements aux règles, les erreurs, l’organisation d’un service, mais en même temps, on les comprend et on a le même langage. »
L’empathie fait partie des notions abordées lors des quelques heures de cours consacrées à la prise en charge des patients pendant le cursus étudiant des manips radio. Le témoignage de Marjorie évoque l’idée qu’il faut certes, ne pas oublier ces grandes idées essentielles, mais que la réalité du vécu des patients, qu’elle-même a expérimenté, laisse entrevoir les actions concrètes que les professionnels peuvent mettre en place : « là où on a vraiment quelque chose à faire et il faut militer en ce sens pour avoir le temps de le faire, c’est l’écoute du patient et de son histoire […] Avoir la volonté d’écouter le patient, c’est pour moi le plus important ». Les instituts de formation des manips radio, consacrent toujours plus temps à la prise en soin des patients. Pour autant, l’expérience et le vécu constituent un apport concret indéniable qui affine le contact avec les patients et offre de nouveaux mots pour enrichir la prise en soin
Solidarité et retour à l’emploi :
Par ailleurs, Une des composantes essentielles de la profession de manipulateur radio est de devoir travailler quasi systématiquement en équipe. Passé le diagnostic, la crainte de porter préjudice à ses collègues est souvent rapportée. La solidarité est une valeur cardinale du soin, et au-delà du fait de désorganiser un planning pour passer soi-même un examen, les manipulateurs qui sont atteints de pathologies chroniques potentiellement invalidantes et qui continuent de travailler, peuvent dans une certaine mesure « s’oublier » eux-mêmes, pour ne léser ni leurs collègues, ni la prise en charge de leurs patients : « Le moindre arrêt va entrainer des heures sup’ pour tout le monde […], nous on va dire aux patients : prenez du temps pour vous, il faut vous reposer, mais nous on fait pas du tout ça ». Pour autant, être en contact avec d’autres personnes, parfois plus gravement malades qu’eux, offre un regard différent sur sa propre maladie, un point de vue certainement moins accessible lorsque l’on travaille dans un autre domaine d’activité. Et Florence de conclure « On a tendance à s’oublier c’est clair, mais ça permet d’oublier la douleur quelques part. Je ne suis pas sûre que je serais mieux, si je restais chez moi sur mon canapé. Se dire qu’il y a d’autres gens qui sont malades et qu’on les aide, ça aide à relativiser aussi »
Si l’on va plus loin, c’est la question du retour à l’emploi après un arrêt de longue durée qui mérite d’être posée. Lorsque vous avez eu à subir des traitements parfois lourds et invalidants et des examens à répétition ; si à fortiori, vous êtes professionnel de santé, il peut sembler vain d’espérer que le retour au travail sera un acte neutre. Si l’on ose caricaturer, un manip radio n’est pas un agent immobilier qui retrouverait le plaisir du contact client lors d’une vente d’appartement. Les interactions des soignants avec leurs patients pourront très facilement le ramener à sa propre maladie, et rendre sa posture professionnelle inconfortable. La double casquette, soignant-patient induirait des difficultés, la posture professionnelle se trouve clairement modifiée.
C’est là que se pose la question de l’accompagnement lors du retour à l’emploi. C’est une réelle problématique dont l’institut national du Cancer évoque l’importance dans son rapport de stratégie décennale pour 2021-2030. Pour autant, il n’existe pas d’accompagnement spécifique pour les professionnels de santé et encore moins pour les manips radio…
Une étude menée par la revue ONKO+, datant de janvier 2019, rapporte qu’à la suite de la maladie, en l’occurrence du cancer, «L’ensemble des soignantes s’accorde sur le fait qu’elles possèdent un regard différent sur la vie, qu’elles vont désormais à l’essentiel. […] ». Face à un manque de solutions éprouvées, certains professionnels envisagent leurs métiers différemment : Par exemple, une de nos témoins a redirigé son activité vers la recherche paramédicale, une autre encore s’est orienté vers une formation de « patient expert », un nouveau statut qui émerge depuis quelques années. Selon l’HAS (Haute autorité de santé), « le patient expert désigne celui qui a développé au fil du temps une connaissance fine de sa maladie et dispose ainsi d’une réelle expertise dans le vécu quotidien d’une pathologie ou d’une limitation physique liée à son état. » Dans ce cadre, Catherine Tourette-Turgis a fondé en 2009 l’Université des patients Sorbonne, modèle reproduit dans les universités dans plusieurs grandes villes françaises. Par ailleurs, certaines associations de patients de maladies chroniques (Fédération Française des Diabétiques, Association France Rein, Association Française des Sclérosés en Plaques…) dispensent leurs propres formations à des patients bénévoles adhérents. Les DU sont accessibles à toute personne vivant avec une maladie chronique qui souhaiterait s’impliquer dans la transmission du savoir issu de son expérience auprès des professionnels de santé
Une étude menée par la revue ONKO+, datant de janvier 2019, rapporte qu’à la suite de la maladie, en l’occurrence du cancer, «L’ensemble des soignantes s’accorde sur le fait qu’elles possèdent un regard différent sur la vie, qu’elles vont désormais à l’essentiel. […] ». Face à un manque de solutions éprouvées, certains professionnels envisagent leurs métiers différemment : Par exemple, une de nos témoins a redirigé son activité vers la recherche paramédicale, une autre encore s’est orienté vers une formation de « patient expert », un nouveau statut qui émerge depuis quelques années. Selon l’HAS (Haute autorité de santé), « le patient expert désigne celui qui a développé au fil du temps une connaissance fine de sa maladie et dispose ainsi d’une réelle expertise dans le vécu quotidien d’une pathologie ou d’une limitation physique liée à son état. » Dans ce cadre, Catherine Tourette-Turgis a fondé en 2009 l’Université des patients Sorbonne, modèle reproduit dans les universités dans plusieurs grandes villes françaises. Par ailleurs, certaines associations de patients de maladies chroniques (Fédération Française des Diabétiques, Association France Rein, Association Française des Sclérosés en Plaques…) dispensent leurs propres formations à des patients bénévoles adhérents. Les DU sont accessibles à toute personne vivant avec une maladie chronique qui souhaiterait s’impliquer dans la transmission du savoir issu de son expérience auprès des professionnels de santé.
Accessible de fait aux manipulateurs radio, ce diplôme permettrait certainement de faire le pont entre ces deux territoires distincts que sont l’univers du professionnel et celui du patient et d’apprendre à mieux vivre au quotidien cette double identité de soignant et de soigné, pour les professionnels concernés. Comme le confirme l’enquête exploratoire d’ONKO+, après la maladie, en l’occurrence après un cancer « les identités soignantes et patientes seraient indissociables et nécessiteraient un accompagnement adapté. »
Ce que nous enseignent les témoignages reçus pour la réalisation de cet article, c’est que le retour au travail n’est pas toujours un évènement cadré, protocolé, adapté pour les travailleurs. Les exigences de services, le sous-effectif chronique, ne permettent pas forcément d’accueillir au mieux le collègue, apte pour son travail, mais pour qui reprendre un rythme « normal » peut se révéler assez fatiguant. La médecine du travail joue ici un rôle essentiel, en adaptant les temps partiels, et en évaluant les capacités des professionnels. Pour autant, ils restent nombreux ces manips qui, toujours passionnés, reprennent le travail à 100% et continuent d’accompagner leurs patients, enrichis de leur propre expérience.
La santé des soignants est un sujet, on ne peut plus actuel. Les études évoquant la responsabilité du travail de nuit sur la survenue du cancer du sein, sont de plus en plus nombreuses et des témoignages affluent. La responsabilité des rayonnements ionisants est aussi interrogée. Accompagner ces professionnels qui passent de l’autre côté de la console, c’est une mission que le monde du soin aurait bien raison de se fixer pour les années à venir